COUR D’APPEL DE VERSAILLES
1re chambre 1re section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 14B
DU 26 OCTOBRE 2021
N° RG 20/03081
N° Portalis DBV3-V-B7E-T5XC
AFFAIRE :
Epoux X
C/
E A veuve X
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mai 2020 par le Président de chambre de PONTOISE
N° chambre :
N° Section :
N° RG : 18/06138
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
— Me Marie ALEXANDRE
— l’AARPI OHANA ZERHAT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX OCTOBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur Y, G X
né le […] à […]
de nationalité Algérienne
et
Madame K L M N épouse X
née le […] à […]
de nationalité Espagnole
demeurant ensemble 23 rue Jacques-Bonnaire
[…]
représentés par Me Marie ALEXANDRE, avocat postulant – barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 220
Me Anaïs SAULNIER, avocat – barreau de BORDEAUX, vestiaire : 676
APPELANTS
****************
Madame E A veuve X
née le […] à […]
de nationalité Française
Domiciliée au cabinet de son conseil
représentée par Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 – N° du dossier 20078067 Me Flora MAILLARD, avocat – barreau de MEAUX
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 06 Septembre 2021, Madame Sixtine DU CREST, Conseiller ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Anne LELIEVRE, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL
FAITS ET PROCÉDURE
H X est né le […] à Bordeaux de M. Y X et de Mme K-L O N épouse X.
Le 25 juillet 2014, H X est décédé des suites d’un grave accident de la circulation alors qu’il rentrait de son travail.
Il a été inhumé dans le cimetière de B, ville où il résidait avec sa femme et son fils.
Par courrier du 24 février 2016, M. et Mme X ont sollicité du maire de B l’exhumation de leur fils.
Par courrier du 11 mars 2016, la direction des affaires générales de la mairie de B a refusé d’accéder à leur demande aux motifs que Mme E A veuve X s’opposait à l’exhumation du corps de son défunt mari.
Par acte d’huissier de justice en date du 20 juin 2018, M. et Mme X ont fait citer Mme A devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins de :
— constater le caractère provisoire de l’inhumation de leur fils à B,
— voir constater la volonté du défunt d’être inhumé en région bordelaise,
— ordonner le transfert de sépulture du défunt dans le cimetière de la commune de Bruges.
C’est dans ces circonstances qu’a été rendu le jugement du tribunal judiciaire de Pontoise le 25 mai 2020 ayant, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, débouté M. et Mme X de leur demande de transfert de sépulture du défunt H X dans le cimetière de la commune de Bruges, et les ayant condamnés à verser à Mme A la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
M. et Mme X ont interjeté appel de l’entier dispositif de ce jugement le 8 juillet 2020, appel enregistré au greffe le même jour, à l’encontre de Mme A.
Par d’uniques conclusions notifiées par voie électronique le 7 octobre 2020, M. et Mme X demandent à la cour, au fondement des articles R. 2213-19 et suivants du code général des collectivités territoriales, de l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887, de :
— les déclarer recevables et bien fondés,
— infirmer la décision entreprise en ce qu’elle les a déboutés de leur demande de transfert de sépulture du défunt H X dans le cimetière de la commune de Bruges,
Statuant à nouveau,
— constater le caractère provisoire de l’inhumation d’H X à B,
— constater la volonté du défunt H X d’être inhumé en région bordelaise,
— constater le défaut d’entretien de la tombe d’H X,
En conséquence,
— ordonner le transfert de sépulture du défunt H X dans le cimetière de la commune de Bruges,
En tout état de cause,
— infirmer le jugement entrepris en ce qu’il les a condamnés à verser à Mme A une somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— statuer ce que de droit quant aux dépens.
Par d’uniques conclusions notifiées le 16 décembre 2020 par voie électronique, Mme A veuve X demande à la cour, au visa des articles R. 2213-29 et R. 2213-40 du code général des collectivités territoriales et de l’article 700 du code de procédure civile, de :
— débouter M. et Mme X de l’intégralité de leurs demandes,
En conséquence,
— confirmer purement et simplement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise le 25 mai 2020,
Y ajoutant :
— condamner M. et Mme X au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2021.
SUR CE, LA COUR,
Sur le caractère provisoire de l’inhumation d’H X
Moyens des parties
Au soutien de leur appel, se fondant sur les articles R. 2213-40, R2213-29 et R. 2213-33 du code général des collectivités territoriales, M et Mme X font valoir que l’inhumation de leur fils à B présente un caractère provisoire. Ils souhaitent voir exhumer le corps du défunt mais estiment que cette décision relève de l’autorité judiciaire en raison d’un désaccord les opposant à Mme A veuve X sur ce point.
Les appelants considèrent que le non-respect de la procédure prévue à l’article R. 2213-29 du code général des collectivités territoriales ne présume pas, de façon irréfragable, du caractère définitif de l’inhumation. Ils expliquent qu’en raison de leur chagrin, ils ne se sont pas opposés à l’inhumation de leur fils à B. Ils affirment cependant avoir informé la veuve du défunt de leur demande d’exhumation quatre jours après le décès, et n’avoir cessé de réclamer cette exhumation depuis. Ils invoquent un arrêt de la Cour de cassation selon lequel une demande de transfert du corps du défunt présentée rapidement après l’inhumation est un indice du caractère provisoire de celle-ci (1re Civ., 1er juin 2011, 10-18.337). Ils ajoutent n’avoir cessé de demander le transfert du corps, précisant
avoir fait une demande officielle en 2016, non satisfaite en raison du refus opposé par Mme A veuve X, et avoir acquis un emplacement au sein du cimetière paysager de Bruges afin que la sépulture de leur fils puisse être transférée en région bordelaise, où est situé leur domicile, conformément à son souhait.
M. et Mme X sollicitent donc l’infirmation du jugement déféré et le transfert de la sépulture du défunt dans le cimetière de Bruges.
Mme A veuve X réplique que les parents du défunt n’ont pas fait usage de la procédure prévue à l’article R. 2213-29 du code général des collectivités territoriales, applicable en matière d’inhumation provisoire. Elle estime que rien, pas même le chagrin des parents, ne saurait justifier le non-respect de cette procédure en cas d’inhumation à caractère provisoire.
Elle ajoute que la décision d’inhumer le défunt à B a été prise par elle, en accord avec les appelants. Elle précise avoir fait l’acquisition d’une concession de 30 ans au cimetière de B-la-Garenne, ce qui atteste selon elle du caractère définitif de l’inhumation. Enfin, elle relève que la demande officielle d’exhumation du corps du défunt n’a été présentée par ses parents que dix-huit mois après le décès. Elle juge donc que la cour devra constater l’absence de caractère provisoire de l’inhumation.
Appréciation de la cour
L’article 16-1-1 du code civil dispose que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes d’une personne décédée doivent être traités avec respect, dignité et décence.
Les conditions des funérailles sont régies par l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887 relative à la liberté des funérailles qui dispose que tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Il peut charger une ou deux personnes de veiller à l’exécution de ses dispositions. Sa volonté, exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testamentaire, soit par devant notaire, soit sous signature privée, a la même force qu’une disposition testamentaire relative aux biens, elle est soumise aux même règles quant aux conditions de sa révocation.
La loi prévoit en outre la possibilité d’une inhumation provisoire, régie par l’article R. 2213-29 du code général des collectivités territoriales. En ce cas, après la fermeture du cercueil, effectuée conformément aux dispositions de l’article R. 2213-20 du même code, celui-ci peut être déposé temporairement dans un édifice cultuel, une chambre funéraire, au crématorium, dans un dépositoire, à la résidence du défunt ou celle d’un membre de sa famille, dans les conditions prévues aux articles R. 2213-33 et R. 2213-35 du même code. Le cercueil peut également être déposé dans un caveau provisoire, le cas échéant après accord du propriétaire du caveau, dans l’attente de l’inhumation définitive. L’autorisation du dépôt est donnée par le maire de la commune du lieu du dépôt, après vérification que les formalités prescrites par l’article R. 2213-17 du code général des collectivités territoriales et par les articles 78 et suivants du code civil ont été accomplies. Le dépôt ne peut excéder six mois. A l’expiration de ce délai, le corps est inhumé ou fait l’objet d’une crémation dans les conditions prévues aux articles R. 2213-31, R. 2213-34, R. 2213-36, R. 2213-38 et R. 2213-39 du code général des collectivités territoriales.
L’exhumation d’un corps en vue de son transfert vers un autre lieu de sépulture est régie par l’article R. 2213-40 du code général des collectivités territoriales qui dispose que toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande. L’autorisation d’exhumer un corps est délivrée par le maire de la commune où doit avoir lieu l’exhumation. L’exhumation est faite en présence d’un parent ou d’un mandataire de la famille.
Ainsi, lorsque le lieu de sépulture a été déterminé avec l’accord de tous les intéressés, les demandeurs à l’exhumation doivent rapporter la preuve du caractère provisoire de la première sépulture ou de motifs graves justifiant le transfert. S’il s’avère que la sépulture actuelle n’a qu’un caractère provisoire, le transfert sera autorisé à la double condition que la personne le sollicitant puisse se recommander de la volonté exprimée ou présumée du défunt et que le nouveau lieu de sépulture apparaisse conforme également à cette volonté.
En l’espèce, M. et Mme X invoquent le caractère provisoire du lieu de sépulture de leur fils défunt à B (Val d’Oise). Ils expliquent qu’ils n’ont pas usé en 2015 des dispositions de l’article R. 2213-29 précitées en raison de la douleur qui les oppressait, et ajoutent qu’ils ont toujours considéré ce lieu d’inhumation comme provisoire.
La cour considère, comme l’indiquent à bon droit les appelants, que l’absence de recours à la procédure d’inhumation provisoire ne constitue pas une présomption irréfragable du caractère définitif d’une sépulture. Il convient d’examiner les éléments de preuve versés à l’appui du moyen invoqué.
Il est constant qu’H X est mort brutalement, dans le cadre d’un accident de la circulation, sans que le lieu et les conditions de ses funérailles n’aient été anticipés et prévus.
En outre, il résulte de la plainte de Mme A du 5 juillet 2016 (pièce 16 des appelants) et des écritures des appelants qu’ils se sont tournés vers Mme A quatre jours après l’enterrement, en affirmant qu’ils avaient fait 'une grosse erreur’ et souhaitaient transférer la sépulture de leur fils en Gironde afin qu’il soit incinéré et que ses cendres soient dispersées dans l’océan à Biarritz. Ce souhait de transférer la sépulture de leur fils est réitéré lors des échanges qui ont suivis, échanges nombreux et parfois véhéments au point de donner lieu à plusieurs mains courantes et plaintes de Mme A le 5 janvier 2015 et le 23 février 2015 (pièces 72 à 76 de l’intimé).
La cour observe toutefois que les appelants ont sollicité le transfert de sépulture d’H X à la mairie de B dix-neuf mois après le décès, par courrier du 24 février 2016 (pièce 3 des appelants). La douleur qu’ils invoquent comme les ayant empêchés d’agir au moment du décès ne saurait être retenue pour justifier un tel délai.
Par ailleurs, il est établi par les pièces versées aux débats (pièces 6 et 7 de l’intimée) que Mme A a acquis le 1er août 2014, juste après le décès, une concession de terrain pour 30 ans dans le cimetière de B afin que son défunt mari soit inhumé. Le nom d’H X a été gravé sur la tombe (pièce 83 de l’intimée). En outre, il ne résulte d’aucune pièce du dossier que ce lieu a été contesté ou qu’un transfert de sépulture a été envisagé au moment de l’inhumation d’H X.
La cour considère dès lors que la sépulture du défunt revêt un caractère définitif et c’est à tort que le tribunal a retenu le caractère provisoire de la sépulture du point de vue des appelants.
Sur la volonté présumée du défunt quant à son lieu de sépulture
Moyens des parties
M. et Mme X rappellent que chacun a droit au respect de ses volontés exprimées quant à ses funérailles et à sa sépulture, même en l’absence d’expression écrite de ses volontés. Ils soutiennent que le souhait de leur fils, bien qu’il n’ait pas été exprimé par écrit, était de revenir auprès de sa famille en région bordelaise et d’y être inhumé. Ils produisent diverses attestations de membres de sa famille ainsi que de collègues, qui corroborent leur affirmation. Ils énoncent en outre que le défunt avait effectué une demande de mutation professionnelle en région bordelaise peu avant son décès.
Mme A objecte que le transfert de sépulture qui n’est pas conforme à la volonté exprimée ou
présumée du défunt est prohibé par la jurisprudence. Elle relève que le défunt n’a pas exprimé ses volontés par écrit. Elle estime que les parents d’H X ne sont pas les personnes les plus à même d’exprimer les dernières volontés de leur fils, dont ils étaient distants. Elle indique ainsi que Mme X aurait cessé d’avoir des relations avec son fils alors âgé de 16 ans et ce, pendant plusieurs années, que M. et Mme X auraient oublié de contacter leur fils pour ses 30 ans, et qu’ils ne se seraient pas présentés à l’inauguration d’une salle du commissariat de Villeneuve-la-Garenne ouverte en sa mémoire.
Mme A ajoute qu’au contraire, étant donné sa relation avec le défunt, elle est la plus à même de rapporter les volontés exprimées par le défunt. Elle affirme que la volonté présumée d’H X était de rester proche de sa femme, de son fils et de ses amis, et produit des attestations en ce sens. Elle conteste notamment l’attestation de I J, ex-épouse d’H X, selon laquelle ce dernier souhaitait se rapprocher de sa famille, en précisant que les relations entre les ex-époux étaient tendues et que l’ex-épouse l’a toujours jalousée.
L’intimée prétend encore que le défunt et elle avaient pour projet de faire construire une maison pour leur famille en région parisienne, ce dont elle déduit qu’il n’avait aucune intention de se rapprocher de sa famille à Bordeaux. Elle réfute également l’argument selon lequel H X aurait formulé une demande de mutation professionnelle, relevant qu’aucun élément ne permet d’en démontrer l’existence. Enfin, elle souligne que le défunt était un musulman pratiquant et que l’Islam interdit l’exhumation.
Elle sollicite donc la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a refusé d’ordonner le transfert de la sépulture du défunt.
Les appelants répliquent qu’ils ont toujours été très proches de leur fils, en produisant de nombreuses attestations faisant état de leur proximité avec ce dernier. Ils considèrent être les plus proches parents les mieux à même de connaître la volonté présumée du défunt. Ils relèvent en outre que leur belle-fille a admis avoir eu avec eux une relation exceptionnelle, laquelle n’a pris fin qu’après le décès d’H X. S’agissant de l’anniversaire des 30 ans de ce dernier, ils précisent que seul M. X a oublié de le lui souhaiter le jour même, mais lui a souhaité le lendemain. Quant à l’inauguration d’une salle du commissariat de Villeneuve-la-Garenne à la mémoire du défunt, ils prétendent que leur absence tient au fait que Mme A ne les a pas informés de cet événement, sans quoi ils auraient été présents.
Sur le projet immobilier en région parisienne invoqué par l’intimée, M. et Mme X indiquent qu’il n’était plus à l’ordre du jour lors du décès de leur fils, puisqu’il était ancien de plus d’une année (mai 2013) et qu’un refus avait rapidement été opposé à H X et à son épouse. Les appelants reprochent donc aux premiers juges d’avoir déduit de ce prétendu projet immobilier l’absence de volonté de leur fils de se rapprocher d’eux à court ou moyen terme.
Ils demandent à la cour de constater que la volonté du défunt était de voir transférer sa sépulture en région bordelaise et d’ordonner ce transfert.
Appréciation de la cour
Comme indiqué précédemment, les conditions des funérailles sont régies par l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887.
En vertu du principe d’immutabilité des sépultures, lorsque le lieu de sépulture aura été déterminé définitivement, il ne pourra plus en principe être modifié. Cependant, même dans le cas d’une sépulture voulue définitive à l’origine, le transfert pourra être admis s’il recueille l’accord des proches du défunt ou s’il paraît correspondre à ce qu’on peut penser qu’aurait été la volonté du mort au moment où le problème se pose.
En l’absence de volonté exprimée par le défunt et en cas de désaccord entre les proches, il appartient au juge de désigner la personne la mieux placée pour rapporter l’intention probable de ce dernier et décider des modalités des funérailles ainsi que le prévoit l’article R. 2213-40 du code général des collectivités territoriales.
S’il y a contestation entre les proches, la jurisprudence, dans le silence des textes à cet égard, prohibe, par principe, tout transfert de sépulture qui n’apparaîtrait sollicité qu’au seul gré de certains proches du défunt et que dans le seul intérêt de ceux-ci. Est ainsi condamnée une tendance des vivants à se disputer le corps d’un mort par un instinct de jalouse possession affective. Le « respect » dû à la personne des morts et la « paix » due à leurs restes imposent l’interdiction de principe d’un transfert de sépulture qui n’apparaîtrait pas conforme à la volonté exprimée ou présumée du défunt, ou qui, au moins, ne s’imposerait pas comme une nécessité absolue eu égard aux conditions de l’espèce.
En l’espèce, en l’absence de volonté exprimée du défunt, lequel est décédé très brutalement dans un accident de voiture le 25 juillet 2014, il appartient à la cour de désigner la personne la mieux placée pour rapporter quelle aurait été sa volonté présumée quant à son lieu de sépulture.
Mme A prétend être la personne la plus à même d’exprimer la volonté d’H X et affirme qu’un conflit ancien opposait H X à sa mère en particulier, et plus généralement à ses parents, ce que contestent les appelants.
S’agissant de la relation d’H X et Mme A, il n’est pas contesté qu’H X a eu avec son épouse, rencontrée en mai 2010 et épousée le 2 avril 2011, une relation aimante et heureuse, le couple ayant donné naissance à C le 15 août 2013, et ce jusqu’au décès d’H X le 25 juillet 2014 (pièces 10 à 23 de l’intimée).
S’agissant des relations entre H X et ses parents, Mme A indique que les relations ont été coupées entre son défunt mari et sa mère, alors que ce dernier était âgé de 16 ans, que son père a oublié de lui fêter ses 30 ans et que ses parents n’étaient pas présents lors de l’inauguration de la salle du commissariat de Villeneuve-la-Garenne dédiée à sa mémoire.
La cour considère tout d’abord que l’oubli de l’anniversaire des 30 ans d’H X par son père, qui lui a fêté le lendemain, n’est pas suffisant à démontrer de mauvaises relations.
De même, les pièces produites aux débats ne permettent pas non plus de confirmer ou d’infirmer l’allégation selon laquelle l’absence de M. et Mme X à l’inauguration de la salle dédiée à la mémoire d’H X au commissariat de Villeneuve-la-Garenne résulterait du fait qu’ils n’avaient pas été informés de cet événement.
L’examen des pièces versées ne permet pas non plus d’établir avec certitude une coupure dans les relations d’H X avec sa mère, cette coupure étant affirmée ou contestée selon les attestations produites par les parties.
Il ressort néanmoins de certaines pièces versées aux débats qu’H X a eu une relation distante avec ses parents.
L’intimée a produit un courrier non manuscrit et non daté qui lui est adressé et signé 'Ton Papillon’ qu’elle attribue à H X dans lequel le rédacteur écrit 'ma propre mère m’a délaissé, m’a fait souffrir et j’ai peur que cela se reproduise à nouveau' (pièce 31).
La cour note également que le message par voie téléphonique adressé par H X à son père le 22 juillet 2014 – soit trois jours avant son décès – (dans lequel il reproche à ses parents de ne l’appeler que lorsqu’ils avaient besoin de lui et de lui préférer son frère Kenny) (pièce 32 de l’intimée) révèle
qu’il a pu éprouver du ressentiment à l’égard de ses parents à un moment donné.
Dès lors, s’il n’est pas contesté qu’H X avait des relations avec ses parents au moment de son mariage, de la naissance de son fils et de son décès, les pièces 31 et 32 de l’intimée, associées au fait qu’H X résidait loin du domicile de ses parents depuis 2007 et ne les côtoyait pas quotidiennement, suffisent à démontrer une relation distante entre le défunt et ses parents.
La cour en déduit que Mme A, qui côtoyait quotidiennement H X depuis a minima avril 2011 et a entretenu, d’après les pièces produites, une relation heureuse avec lui, est la personne la plus à même d’exprimer la volonté présumée du défunt.
A l’appui de leur demande de transfert de sépulture en Gironde, les appelants produisent diverses attestations des frères, collègues et amis d’H X résidant principalement en région bordelaise (pièces 5 à 15 et pièce 17 des appelants). Force est de constater qu’H X a quitté la Gironde fin 2007, peu après son divorce avec son ex-femme I J. Certaines attestations font état d’une demande de mutation professionnelle en région bordelaise, laquelle n’est établie par aucun autre élément que des allégations. La cour considère donc cette prétendue demande de mutation comme non prouvée.
Les appelants produisent également une attestation rédigée par I J selon laquelle son ex-mari aurait émis le souhait de revenir en région bordelaise (pièce 7 des appelants). Force est de constater qu’elle ne doit pas être considérée comme susceptible d’exprimer la volonté présumée du défunt compte tenu des relations extrêmement conflictuelles qui l’ont opposée à H X ainsi que le démontrent les multiples mains courantes et plaintes déposées jusqu’en avril 2014 et versées aux débats par l’intimée (pièces 39 à 63 de l’intimée).
Mme A quant à elle verse plusieurs attestations rédigées par des membres de sa famille (pièces 34 à 38 et 78 à 81) ou par des collègues d’H X en région parisienne. Les attestations des membres de la famille A ne peuvent être considérées comme susceptibles d’exprimer la volonté présumée d’H X, leur objectivité pouvant être sujette à caution compte tenu de leur lien de parenté avec l’intimée. A l’inverse, les attestations des collègues et amis d’H X, qui le côtoyaient au moment de son décès, confirment qu’il avait en région parisienne une vie de famille heureuse, qu’il a tissé des liens amicaux, notamment par le biais de son travail de policier à Villeneuve-la Garenne, et qu’il n’envisageait pas de revenir en région bordelaise (pièces 17, 18, 21 et 22).
Certaines attestations font état d’un projet de construire une maison en région parisienne. Mme A verse aux débats deux courriers (sur lesquels aucun destinataire n’est mentionné) signés de M. et Mme H X datés de mai et juin 2013 relatifs à un prêt sollicité par les époux en vue d’un projet immobilier et finalement refusé. Ce projet n’est pas contesté par les appelants mais considéré comme non probant car trop ancien par rapport à la date de décès. La cour considère néanmoins que la tentative d’obtention d’un prêt immobilier avec son épouse pour construire une maison en région parisienne traduit une volonté de s’implanter avec sa famille, au moins à moyen terme, en région parisienne.
Enfin, il n’est pas contesté qu’H X était de confession musulmane et que ses funérailles ont eu lieu selon le rite musulman, lequel interdit l’exhumation (pièces 25, 26, 27, 28, 30).
Dès lors, la cour déduit de la stabilité de sa vie familiale en région parisienne, de la tentative de projet immobilier entreprise avec Mme A en 2013 (soit l’année précédant son décès) et du fait qu’il était de confession musulmane, que la volonté présumée d’H X au moment de son décès était d’être inhumé en région parisienne.
C’est donc a bon droit que le jugement a retenu que la volonté présumée d’H X était d’être
inhumé auprès de son épouse et de son fils C en région parisienne.
Sur le défaut d’entretien de la tombe d’H X
Moyens des parties
Au soutien de leur appel, M. et Mme X font valoir que le transfert de sépulture peut être justifié par un motif grave et sérieux, lequel, outre le caractère provisoire d’une sépulture ou la volonté exprimée du défunt, peut être excipé du défaut d’entretien de la tombe de ce dernier. Or, ils indiquent que la veuve d’H X a déménagé de B peu après l’inhumation de ce dernier, s’éloignant ainsi de son lieu de sépulture. Ils ajoutent que, après avoir repris l’entretien de la tombe pendant quelques mois pour les besoins de la procédure, Mme A semble ne plus résider en France. Les appelants précisent constater le défaut d’entretien de la tombe de leur fils lors de leurs déplacements occasionnels en région parisienne. Ils soulignent que le transfert de sépulture permettrait d’éviter l’abandon de la tombe. Ils sollicitent donc que la cour ordonne ce transfert.
Mme A réplique avoir déménagé dans une ville voisine de B et se rendre régulièrement sur la tombe du défunt avec son fils. Elle relève qu’aucun élément ne justifie les allégations relatives au défaut d’entretien de la sépulture. Elle énonce également que les appelants ne se rendent jamais sur la tombe de leur fils. Elle reproche aux appelants leur mauvaise foi et regrette qu’ils n’entretiennent aucune relation avec leur petit-fils.
Elle sollicite donc la confirmation du jugement attaqué en ce qu’il a refusé d’ordonner le transfert de sépulture d’H X.
Appréciation de la cour
L’article 16-1-1 du code civil dispose que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes d’une personne décédée doivent être traités avec respect, dignité et décence.
Conformément à l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l’espèce, M. et Mme X invoquent, comme motif grave et sérieux justifiant un transfert de sépulture, que la tombe d’H X ne serait pas entretenue et que Mme A aurait déménagé à l’étranger.
Force est de constater qu’ils ne produisent aucun élément de preuve à l’appui de leurs allégations à l’exception d’une capture d’écran Instagram de Mme A à D en Australie (pièce 26 des appelants).
A l’inverse, Mme A verse au dossier des photographies attestant de l’entretien de la tombe (à tout le moins au moment où les photographies ont été prises) ainsi qu’une attestation du gardien du cimetière du 19 mars 2019 (pièce 77 et 83). Elle justifie, par la production d’avis d’échéances de loyer entre septembre 2020 et avril 2021, de son avis d’imposition pour 2020, de son avis de situation déclarative en 2021 et de l’avis de taxe d’habitation pour 2020 (pièces 84 à 89) d’une résidence à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Elle explique avoir rendu visite à sa soeur qui demeure à D (Australie).
Dès lors, le défaut d’entretien de la sépulture d’H X n’est pas démontré et le motif grave et sérieux invoqué à ce titre par les appelants à l’appui de leur demande de transfert de sépulture n’est pas fondé.
*
Il découle de l’ensemble des développements qui précède que les prétentions des appelants ne sont pas fondées.
Le jugement sera dès lors confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement, qui a exactement statué sur les dépens et les frais irrépétibles, sera confirmé de ces chefs.
M. et Mme X, qui succombent en leur appel, seront condamnés aux dépens d’appel et, de ce fait, leur demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Il apparaît équitable d’allouer à Mme A la somme de 1500 euros au titre des frais engagés en cause d’appel pour assurer sa défense. M. et Mme X seront condamnés au paiement de cette somme.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME le jugement ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. et Mme X à verser à Mme A 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
CONDAMNE M. et Mme X aux entiers dépens d’appel ;
REJETTE toutes autres demandes.
— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
— signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
Source : doctrine.fr
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